DOUGLAS KENNEDY.

Duglas Kennedy

Douglas Kennedy est né à New York en 1955. Dramaturge, il a été régisseur dans des théâtres de Broadway. Il quitte l’Amérique pour Dublin en 1977. En 1991, après un long voyage en Australie, il publie en Angleterre « The Dead Heart »(Cul-de-sac) qui obtiendra un grand succès et sera porté à l’écran par Stephan Eliot.

Il écrira de nombreux romans, toujours des succès de librairie, traduits dans une quinzaine de langues. Je citerai « Les désarrois de Ned Allen » « La poursuite du bonheur » « Une relation dangereuse » « Quitter le monde » « Au pays de Dieu »

Douglas Kennedy est un grand voyageur. Il a visité plus d’une cinquantaine de pays et a été onze fois au Maroc.

Ce qui frappe le plus dans ses romans c’est le thème d’une vie qui peut basculer à tout moment. Il avoue que dans sa vie, il y a eu des moments très difficiles. Un fils autiste, début de la fin de son mariage. Si dans son œuvre, l’idée du cauchemar dans la vie quotidienne est très présente, il affirme : « Tout peut changer demain ».

MIRAGE.

« Où étais-je ? (…) J’étais dans un avion qui, durant toute la nuit avait survolé l’Atlantique. Un avion qui se dirigeait vers un recoin de l’Afrique du Nord, vers un pays dont la forme sur une mappemonde était pareille à une calotte posée sur un continent. »

Ainsi s’ouvre le livre sur un propos de Robyn. Elle n’a pas choisi ce voyage. C’est Paul, son mari, qui a voulu l’emmener à Casablanca.

Robyn, comptable est mariée à Paul depuis trois ans. Elle l’a rencontré dans sa vie professionnelle.  Paul était sous le coup d’un contrôle fiscal et Robyn lui avait été recommandé pour mettre de l’ordre dans ses finances. Paul dépensait sans compter. Il était enseignant et surtout artiste ce qui avait séduit Robyn.

Paul avait dix-huit ans de plus que Robyn ce que sa mère lui avait fait remarquer. De plus, il ressemblait à son père, un irresponsable. Robyn espérait que Paul s’assagirait d’autant plus qu’ils essayaient d’avoir un enfant.

Paul ne lui avait pas dit pourquoi il l’emmenait au Maroc. Première surprise, ils ne s’installeront pas à Casablanca mais à Essaouira, à cinq heures de bus de Casablanca.

Le drame se produira très vite. Le bureau de Robyn qui essaie de régler les affaires de Paul et la tient au courant par mail, lui envoie une note d’honoraire d’un médecin : Paul a été opéré d’une vasectomie.

Robyn est effondrée. Paul a été opéré alors qu’il vivait déjà avec elle et il ne lui avait rien dit. Elle prend ce mensonge comme une trahison, décide de le quitter, réserve sa place dans un avion pour le lendemain. Elle lui laisse un mot sur la table : « Tu as tout démoli. Je te déteste. Tu ne mérites pas de vivre. »

Elle s’en va sur la plage, ruminant son chagrin, regrettant d’avoir été assez sotte que pour le croire quand il disait vouloir un enfant d’elle. Pourquoi ce mensonge ? « Je connaissais la réponse à cette question : nous ne voyons que ce que nous voulons bien voir. »

Rentrée à l’hôtel, Ahmed la retient et lui demande d’attendre. Il lui explique que le personnel a entendu des hurlements et des coups sourds.

La chambre est un véritable chaos. Des vêtements jonchent le sol, les tiroirs de la commode ont été sortis et vidés par terre. Deux ou trois de ses carnets de croquis sont en lambeaux. Il y a du sang sur le mur. Elle trouve le mot de Paul : « Tu as raison. Je mérite la mort. »

Paul a disparu. Robyn parvient à échapper à la police qui la soupçonne d’avoir blessé son mari et part à sa recherche.

J’arrête mon récit ici car je ne peux priver le lecteur du suspense que constitue la suite du livre. Robyn ira de surprise en surprise…

Que dit Douglas Kennedy de son roman ? « L’un des thèmes de ce roman est le mirage, mais pas seulement dans le désert mais également dans la vie et notamment dans le mariage. Le personnage de Paul lui-même est un mirage qui a en partie été créé par sa femme Robyn. D’un certain côté, elle n’a pas voulu voir de nombreux aspects de la vie de Paul. »

Le roman est aussi une merveilleuse découverte du Maroc. Je reprends un extrait.

« Le souk à midi… Un labyrinthe de ruelles, certaines couvertes, d’autres pas, un dédale de cours où toutes les marchandises imaginables étaient exposées sur des étals, entassés à même le sol ou mélangées dans de minuscules échoppes. Et la densité stupéfiante de la foule. Et l’explosion tout aussi incroyable de couleurs dans ces enfilades de pyramides d’épices : marron, orange, écarlate, beige, roux, voir chartreuses, les infinies variations de turquoise et d’aigue-marine des carreaux de céramique qu’un artisan avait étalés par terre et que la cohue des passants parvenait pourtant à ne pas piétiner… »

J’ai toujours aimé les romans de Douglas Kennedy. Celui-ci ne fait pas exception. Le personnage de Robyn est un des plus beaux personnages féminins créés par l’auteur.

 

HARUKI MURAKAMI.

Murakami_Haruki_(2009)

Haruki Murakami est né le 12 janvier 1949 à Kyoto (Japon). Il a écrit de nombreux romans et des nouvelles souvent récompensés. Depuis 2006, il est pressenti pour le Prix Nobel de littérature. Il est un des auteurs japonais le plus lu dans le monde.

Murakami est aussi traducteur de l’anglais en japonais d’une vingtaine de romans.

Fils d’un enseignant de littérature japonaise en collège, Murakami passe son enfance avec ses livres : « J’étais un enfant unique, solitaire, inquiet. Je passais mes journées, enfermé avec mes livres et mes chats. »

Œuvre : « La Course au mouton sauvage » « La Ballade de l’impossible » « Chroniques de l’oiseau à ressort » « Kafka sur le rivage » « Après le tremblement de terre »

(Billet du 17 octobre 2011)

L’INCOLORE TSUKURU TAZAKI ET SES ANNEES DE PELERINAGE.

Le livre débute par l’obsession que Tsukuru Tasaki a de la mort. Il est en deuxième année d’université.  Pendant plusieurs mois, il vit comme un somnambule ou « comme un mort qui n’a pas encore compris qu’il était mort. » Apparemment, il vit normalement, prend une douche chaque matin, fait sa lessive mais n’attache aucune importance à la nourriture. Il va perdre six kilos.

Pourquoi cette obsession ? L’auteur nous dit qu’un événement l’avait sans doute déclenchée. Un événement qui remonte à ses années de lycée.

Cinq adolescents s’étaient liés d’amitié en participant à un travail à vocation sociale. Le groupe s’était soudé. Tous appartenaient à la couche supérieure de la classe moyenne et vivaient dans la banlieue résidentielle de Nagoya.

« Pourtant le hasard avait voulu que Tsukuru Tasaki se distingue légèrement sur un point : son patronyme ne comportait pas de couleur. Les deux garçons s’appelaient Akamutsu – Pin rouge -, Omi – Mer bleue -, et les deux filles, respectivement Shirane – Racine blanche – et Kurono – Champ noir. Mais le nom « Tazaki » n’avait strictement aucun rapport avec une couleur. D’emblée, Tsukuru avait éprouvé à cet égard une curieuse sensation de mise à l’index. »

Après le lycée, Tsukuru décide d’aller étudier dans une université à Tokyo parce qu’un professeur spécialiste de l’architecture des gares y enseignait. Or, Tsukuru s’intéressait depuis toujours aux gares. Ses autres amis étaient restés à Nagoya mais Tsukuru les revoyait pendant les vacances.

Un drame va survenir qui pèsera très lourd sur toute la vie de Tsukuru. Revenu à Nagoya, comme il le faisait d’habitude, ses amis lui apprennent qu’ils ne veulent plus le voir sans en donner la raison. « Si tu y réfléchissait par toi-même, tu devrais sûrement pouvoir le comprendre. »

C’était la première fois de sa vie qu’il était rejeté aussi brutalement.  Il a subi un choc dont il sera incapable de se remettre. Il ne cherche pas à comprendre et ne revient plus à Nagoya.

C’est ce qu’il confie à Sara alors qu’il a déjà trente ans et travaille pour une société ferroviaire.

Sara l’encourage à rechercher ce qui s’est passé, consciente que cet événement pèse lourdement sur Tsukuru.

Elle se débrouille pour savoir ce que sont devenus ses amis et le persuade de les rencontrer pour savoir ce qui s’est passé.

Tsukuru va rencontrer ses anciens amis, l’un après l’autre, sans prévenir de peur d’être rejeté. Il ira même jusqu’en Finlande pour rencontrer Noire.

Le lecteur va le suivre dans ce long pèlerinage à la recherche de la vérité, pour pouvoir se guérir d’une blessure qui l’empêche d’aller vers les autres.

Bleu lui apprendra que Blanche l’avait accusé de l’avoir violée. Même si les adolescents éprouvaient des difficultés à la croire, elle s’était montrée très persuasive et avait obtenu que ses amis n’aient plus aucun contact avec lui.

Comme Noire lui expliquera, Blanche était très mal psychologiquement et, très proche d’elle,  Noire avait décidé de faire ce qu’elle lui demandait même si elle était persuadée que Tsukuru était incapable de faire ce qu’elle disait.

Blanche ne dira jamais qui était son agresseur. Elle mourra étranglée sans que le lecteur apprenne par qui.

Tsukuru va pouvoir vivre pleinement sa liaison avec Sara. Commencer une autre vie.

La musique est très présente dans le livre notamment « Le mal du pays » de Liszt que jouait Blanche.

« La vie ressemble à une partition compliquée, se dit Tsukuru. Elle est remplie de doubles croches, de triples croches, de tas de signes bizarres et d’inscriptions compliquées. La déchiffrer convenablement est une tâche presque impossible… »

L’histoire aurait pu être banale. Un rejet d’un groupe où règne l’harmonie. Plus que l’abandon, c’est l’harmonie qui régnait dans le groupe que regrette Tsukuru. Il devra apprendre ce qu’est la vie pour pouvoir aimer Sara.

Les noms de couleur des personnages ont une grande importance puisque Tsukuru est « l’incolore »

Cet aveu fait à Sara : « … je n’ai pas ce qu’on appelle un moi. Une personnalité. Pas non plus de couleur éclatante. Je n’ai rien à offrir. C’est le problème qui me hante depuis longtemps. Je me suis toujours senti comme un récipient vide. »

Un beau roman imprégné de mélancolie. L’auteur aurait pu en faire un thriller, la quête de la vérité de Tsukuru présenté comme une enquête. L’auteur a choisi d’en faire un pèlerinage. Tsukuru est en quête de son vrai moi qui lui permettra d’accéder à l’amour.

 

PHILIPPE CLAUDEL.

Philippe Claudel.

Philippe Claudel, né en 1962 en Lorraine, est un écrivain, réalisateur et scénariste français.   Agrégé de Lettres modernes, il est maître de conférences à l’Université de Nancy. Il a également été professeur en prison auprès d’adolescents handicapés physiques. Il a été élu à  l’Académie Goncourt le 11 janvier 2012 au fauteuil de Jorge Semprun.

Romans : « Les Ames grises » « Le roman de Brodeck » « L’Enquête » « « Parfums ».

Il a reçu de nombreux prix et est traduit dans le monde entier.

Ses films « Il y a longtemps que je t’aime » et « Tous les soleils » ont été de grands succès en France et dans le monde.

(Billets : 19 janvier 2010 – 14 mars 2014)

LA PETITE FILLE DE MONSIEUR LINH.

« C’est un viel homme debout à l’arrière d’un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le viel homme se nomme Monsieur Linh. Il est seul à savoir qu’il s’appelle ainsi car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui. »

Par les premiers mots du livre, nous apprenons que Monsieur Linh a quitté son pays en guerre, comme beaucoup d’autres et arrive dans un endroit qu’il ne connaît pas et dont il ne parle pas la langue.

Il est hébergé dans un centre pour immigrés avec sa petite fille « Sang diû » qui dans la langue de son pays signifie « Matin doux ». Les parents du bébé. sont morts et Monsieur Linh a décidé de partir à jamais, pour l’enfant.

Il dort dans un dortoir avec d’autres réfugiés. Le personnel l’appelle « oncle » comme c’est la coutume dans le pays.

Lors d’une promenade, assis sur un banc, il est rejoint par un homme, un peu moins vieux que lui, plus grand, plus gros. Il demande le nom de la petite fille et le traduit mal « Sans Dieu » Il  s’appelle Bark et s’enquiert du nom de Monsieur Linh. Sans comprendre la question, Monsieur Linh, répond « Tao-laï » qui équivaut au bonjour dans la langue de son pays natal. Monsieur Bark l’appellera donc Tao-laï.

Les deux hommes vont se rencontrer tous les jours sur ce banc et va naître entre-eux une amitié très forte alors qu’ils ne parlent pas la même langue. Monsieur Linh apprécie ce nouvel ami : « C’est comme de retrouver un signe sur un chemin alors qu’on est perdu dans le forêt, que l’on tourne et tourne depuis des jours, sans rien reconnaître. »

Monsieur Linh est bercé par la voix de cet inconnu qu’il lui parle sans qu’il puisse saisir un seul mot. « Monsieur Bark a de gros doigts dont les dernières phalanges ont pris une couleur orangé, à force de serrer les multiples cigarettes qu’il fume sans cesse. »

Monsieur Bark lui fait visiter le parc où se trouve un manège qui appartenait à sa femme, décédée. « J’étais toujours ému en voyant cela, en voyant ma femme actionner le manège, savoir que son métier, c’était de donner de la joie aux enfants. »

Un jour, rentré au dortoir après sa promenade, la traductrice Sara lui apprend qu’il ne pourra pas rester. Le bureau des réfugiés va examiner son cas et il lui proposera un autre endroit où il pourra résider éternellement.

En attendant le transfert, Monsieur Linh, qui ne fume pas, demande d’avoir un paquet de cigarettes tous les jours pour les remettre en cadeau à son nouvel ami.

Il lui remettra les deux paquets de cigarettes dans un café où l’a emmené Monsieur Bark. Celui-ci est très ému. Il y a si longtemps qu’il n’a plus reçu de cadeaux. Bien que les cigarettes soient d’une marque qu’il ne fume pas, il ouvre le paquet et fume les trouvant meilleures que celles qu’il fume d’habitude, parce qu’il est tellement content du cadeau.

Monsieur Bark emmène Monsieur Linh au bord de la mer et avoue qu’il connaît son pays natal. « Oui, je le connais,  reprend-il en regardant de nouveau la mer et le lointain. Il y a longtemps, j’y suis allé. Je n’osais pas vous le dire. On ne m’a pas demandé mon avis, vous savez. On m’a forcé à y aller. J’étais jeune. Je ne savais pas. C’était une guerre. (…) J’étais encore un gosse. Un gosse. Et on a mis un fusil dans mes mains, alors que j’étais presque encore un enfant. » Monsieur Bark pleure et Monsieur Linh essaie de l’entourer de ses bras et lui sourit. Il pense que c’est le souvenir de sa femme qui le fait pleurer.

Ce que lui avait annoncé Sara arrive. Monsieur Linh est emmené dans un château, sur une hauteur. L’infirmière lui remet un pyjama bleu comme à tous ceux qui se trouvent là. Monsieur Linh est désespéré. Comment va-t-il retrouver son ami ? Il essaie de s’enfuir mais est rattrapé par les gardiens.

Il y arrivera pourtant et erra dans la ville à la recherche de son ami, qu’il finira par retrouver.

Je ne peux en dire plus. La fin du livre est une surprise…

Un roman émouvant, intimiste. Monsieur Linh ne parle pas mais pense constamment au pays qu’il a quitté pour l’enfant. Il s’en occupe avec tendresse, la serre contre lui, c’est son sang, tout ce qui lui reste.

Nous ne savons pas quel est le pays natal de Monsieur Linh ni celui où il est emmené. Des indices nous font penser à un pays d’Asie, mais c’est sans importance.

Je ne sais pas si Philippe Claudel a voulu écrire un livre sur les immigrés. Pour moi, le livre est surtout le récit de l’amitié qui se crée entre deux personnes qui ne parlent pas la même langue et pourtant se comprennent.

L’émotion ne nous lâche pas. La beauté du style renforce encore l’émotion. C’est la magie des mots.

 

JEAN d’ORMESSON.

Jean d'ormesson

Jean d’Ormesson est né à Paris le 16 juin 1925. Ecrivain, chroniqueur, journaliste, il a été élu à l’Académie française en 1973. Il en est actuellement le doyen.

Elevé par sa mère jusqu’à  l’âge de 14 ans, il entre à 19 ans à l’Ecole Normale Supérieure. Licencié en lettres et histoire, il est admis ensuite à l’agrégation de philosophie.

En 1950, il devient Secrétaire Général du Conseil international de la philosophie et des sciences de l’UNESCO dont il devient président en 1992.

En 1970, il devient directeur du Figaro. L’année suivante, il publie « La gloire de l’Empire » pour lequel il obtient le Grand Prix du roman de l’académie française.

Chaque année, paraîtra un autre roman dont « Au Plaisir de Dieu » « Mon dernier rêve sera pour vous » « Histoire du Juif errant » « Le rapport Gabriel » « C’était bien » « C’est une chose étrange à la fin que le monde ».

(Billets du 27 février 2008 – 4 novembre 2010 – 23 janvier 2013)

UN JOUR JE M’EN IRAI SANS EN AVOIR TOUT DIT.

Le titre est un vers d’Aragon comme l’était « C’est une chose étrange à la fin que le monde ».

Publié comme ses autres livres comme étant un roman, c’est presque une autobiographie. Je pourrais le résumer en une phrase : Il est parti de son enfance pour arriver aux étoiles et à Dieu. »

La première partie du livre intitulée Tout passe est un rappel de son enfance mais aussi un survol historique de son époque. « Je suis tombé dans ce monde en un temps où beaucoup de choses disparaissaient et où beaucoup d’autres apparaissaient. Il y a eu le jeudi noir de Wall Street, la dépression, les banques qui sautent, le chômage, l’inflation. Il y a eu la guerre, le goulag, la Shoah, les Kmers rouges, le Rwanda. Il y a eu un progrès qui a semé en même temps l’enthousiasme et la crainte. Longtemps, demain a ressemblé à hier. Et puis, tout à coup, l’histoire a pris le mors aux dents. »

Pour l’auteur, le changement le plus spectaculaire est que la science et la technique aient remplacé la philosophie et la religion.

Lui, qui s’est tellement intéressé aux découvertes des galaxies ou des étoiles redit son étonnement que l’homme ne soit que des poussières d’étoile. Cependant, il attribue le plus grand changement de la conception du monde à Képler ou Copernic, mais surtout à Darwin, qui bien que croyant, a changé pour toujours la conception de l’homme au mépris de Dieu. « Dieu après avoir connu bien des épreuves passe son pouvoir à l’homme. »

De son enfance, il ne dira pas plus qu’il n’a dit dans « Au plaisir de Dieu » Enfance choyée, où le plus important est la famille. Il parlera pourtant de Marie dont il était très amoureux et qui a brisé sa vie en épousant Pama Karpo. Celui-ci, moine bouddhiste orphelin, avait été adopté par sa tante Françoise. Il deviendra le fermier de son père puis fera fortune après guerre.

L’argent, il n’en a jamais manqué, mais s’il le méprise, il reconnaît qu’il est indispensable à celui qui veut vivre une vie de  plaisisirs : « L’argent est un serviteur dont l’idée fixe est de devenir le maître – et il faut l’en empêcher. – Il règne avec arrogance dans le monde d’aujourd’hui ».

Sa vie, justement, lorsque Marie lui revient, sera faite de plaisirs, voyages en Grèce, Turquie, Maroc, Inde, Mexique et surtout l’Italie dont il a abondamment parlé dans ses autres romans.

Plaisirs de la lecture. Je ne reprendrai pas la longue énumération des livres qui l’ont marqué. Juste une petite vengeance en parlant de Sartre qui disait n’importe quoi avec beaucoup de talent et beaucoup de culot…

Les livres justement. Il commence le sien en parlant de la littérature actuelle qui ne vaut pas l’ancienne. « Tout le monde écrit » « L’image triomphe et l’emporte sur l’écrit en déroute » Et encore : « Le piège à éviter, c’est de se jeter dans le moderne et comme si ça ne suffisait pas, tout le monde veut être rebelle par-dessus le marché. Pour être au goût du jour, tout le monde cherche à grimper dans le train déjà bondé des mutins de Panurge. »

Ces paroles pourraient faire sourire venant d’un auteur qui a passé sa vie à écrire des romans mais je le crois quand il dit qu’il n’a jamais cherché à être à la mode. Pour lui, écrire est devenu une nécessité, presqu’un virus dont il ne peut plus se passer. Je serai la dernière à le lui reprocher moi qui l’ai beaucoup lu avec toujours autant de plaisir.

Dans la seconde partie du livre, c’est en philosophe que Jean va discourir sur les grands thèmes : l’allégresse, l’angoisse, le chagrin, le mal, la joie, la beauté, la vérité, le temps.

Je ne peux pas tout détailler. Quelques citations : « La gaieté est la forme de ma mélancolie – Le mal est d’abord en moi – C’est peut-être parce que je suis idiot que la vie et le monde m’ont tant plu – La difficulté est qu’il y a de tout dans la vérité et qu’il y a de tout dans l’erreur – Nous ne savons rien du temps- Le présent est coincé entre le passé et l’avenir. C’est un entre-deux minuscules jusqu’à l’inexistence. »

L’inexistence, la mort, l’interrogation perpétuelle de d’Ormesson : que faisons-nous donc sur cette terre ?

C’est dans la ligne de cette interrogation qu’il consacre la troisième partie de son livre à Dieu. « Il y a au-dessus de nous quelque chose de sacré. »

Cette partie est un très long développement sur la vie vécue avec joie alors que nous nous savons mortels. Il dira même qu’il faut être heureux.

C’est la première fois qu’il affirme avec certitude qu’il croit en Dieu même s’il rejette la résurrection ce qui l’afflige car il aimerait tant retrouver Marie dans l’éternité.

Mais, paradoxe, dans sa prière à Dieu, qui termine le livre, il lui dira « Merci » et Dieu lui répondra « Je te pardonne. »

Un beau livre. Des formules qui font mouche. « Longtemps, j’ai été jeune – J’aimais beaucoup ne rien faire. Dans cette occupation suprême, j’étais presque excellent. Je ne m’ennuyais jamais. – Le travail ne m’intéressait pas. J’étais désintéressé. – Je passais le temps qui passe. »

Un roman d’amour. De Marie, des paroles, des mots, de la vie.

Un livre sans fausse modestie dans lequel l’auteur se livre en toute simplicité.

 

GERMAINE DE STAEL.

Madame de Staël.

Madame de Staël, née et décédée à Paris, (22 avril 1766 – 14 juillet 1817), est une romancière et essayiste française d’origine genevoise. Fille de Jacques Necker et Simone Curchod, elle a été élevée dans un milieu intellectuel, fréquentant le salon littéraire de sa mère.

Après son mariage avec le baron de Staël, ambassadeur de Suède, elle a ouvert son propre salon qui deviendra de plus en plus un salon politique.

Elle s’intéresse à la Révolution française mais après la chute de la monarchie, elle doit se réfugier en Suisse. Revenue à Paris, en 1975, elle s’est convertie à la République. Elle vivra très mal le despotisme de Napoléon. Bannie, elle se réfugie à Coppet, dans le château de Necker, en Suisse, où elle reçoit toute l’Europe cultivée. Elle voyage en Allemagne, en Italie, en Russie. C’est à cette époque qu’elle écrit ses romans  « Delphine » et « Corinne ».

Elle revient à Paris dès le retour des Bourbons où elle compose les « Considérations sur les principaux événements de la Révolution française. » Un livre qui fait encore autorité.

Dans mon souvenir,  Madame de Staël était une intellectuelle brillante et célèbre, recevant dans son salon, l’élite de l’époque.

Les deux premières lignes du chapitre que lui consacre Mona Ozouf ont été une surprise : « Deux fantômes hantent les pensées de madame de Staël : le silence, la solitude ; tous deux grimaçants et étendant leur ombre sur la chance d’être heureux. » Elle la décrit comme hantée par l’idée terrifiante de la mort et même de la vieillesse, où il faut « descendre sans appui. »

Aussi, pour elle, l’amour est, pour les femmes, l’indispensable car elles ont besoin de protection. Mais le versant noir, est la crainte de le perdre. Ainsi, dira-t-elle, les hommes, à tout âge peuvent commencer une nouvelle carrière ; les femmes, perdent leur pouvoir de séduction avec l’âge : « A la moitié de leur vie, il ne leur reste plus que des jours insipides, pâlissant d’année en année. »

Madame de Staël a entretenu une liaison avec Benjamin Constant, un amour passionnel qui la poussera pourtant a refusé le mariage qu’il lui proposait.

Quel constat pessimiste pour les femmes que la recherche de la gloire ! « Les femmes qui veulent songer à la gloire trouve devant elles la société masculine tout entière armée contre des rivales. »

Elle parlera des difficultés rencontrées par une femme auteur : les hommes sont intolérants devant une femme supérieure, rassurés quand ils trouvent chez leurs compagnes, un esprit médiocre ; les jolies femmes ne sont pas fâchées de faire la démonstration qu’elles peuvent vaincre la supériorité de l’intelligence, les mères de famille affirment que ce sont elles qui remplissent la véritable destination de leur sexe.

Même si les femmes n’ont pas toutes la même destinée, madame de Staël en est persuadée : « Il y a bien une nature féminine qui comporte des qualités spécifiques : la mobilité, la délicatesse, l’attention aux détails, le discernement que donnent la sympathie et la pitié ; et des insuffisances spécifiques : la timidité devant la calomnie, la difficulté d’exister sans appui, l’insurmontable faiblesse. » C’est ce que Mona Ozouf a découvert en étudiant la correspondance et les romans de son héroïne. Dans son roman, « Delphine », madame de Staël fait dire à un de ses personnages : « La nature a voulu que les dons des femmes fussent destinés au bonheur des autres et de peu d’usage pour elles-mêmes. »

Ses voyages conforteront madame de Staël dans ses opinions. En Angleterre, le pays interdit absolument aux femmes la gloire et même le délice de briller en société. Elle reconnaît que les hommes rendent aux femmes en respect et en fidélité ce que leur situation sociale a de subalterne. L’Angleterre est le pays des bons ménages mais aussi de l’ennui !

Les Italiens sont spirituels, gais, prêts à tomber amoureux et célèbrent le génie d’un être exceptionnel quel que soit son sexe. Le secret du bonheur italien est d’être imperméable à la vanité et à l’opinion. Les femmes peuvent avec une tranquille assurance confesser leur ignorance ou montrer leur instruction. Elles peuvent être professeurs, médecins ou avocats.

Les Allemandes trouvent chez les hommes plus de sentimentalité et de sérieux qu’en Italie, elles sont moins reléguées qu’en Angleterre, mais, défaut suprême aux yeux de madame de Staël, les hommes ont peu de séduction ! Dans une lettre à Necker, madame de Staël avoue ne rien connaître  « d’aussi lourd, de plus enfumé au moral et au physique que tous les hommes allemands. »

Madame de Staël aime la frivolité française, le brillant, la galanterie, mais elle en connaît le prix : « L’oubli et l’indifférence sont des défauts français. ( …) Là où s’affirme la liberté, la sécurité dépérit. »

J’ai trouvé assez curieux ce portrait que fait madame de Staël des femmes, en se basant sur le pays où elles habitent. Nous dirions maintenant : « Quels clichés ! » Mais, n’avons-nous pas les nôtres ?

Je préfère un autre aspect de la personnalité de madame de Staël : sa foi au changement des mœurs et des habitudes par la diffusion des Lumières. Elle se dit certaine que les femmes n’en seront pas exclues.

Si ses propos sur les femmes m’ont étonnée, elle, si brillante, je suis heureuse d’apprendre que malgré tout, elle avait foi en l’éducation, croyait à une évolution qui ferait que le mariage n’apparaîtrait plus comme le seul destin féminin.

Elle ne s’est pas trompée. Dommage pour elle, qu’elle ait vécu au dix-huitième siècle. Dommage qu’elle ait accordé autant d’importance à l’amour au point d’être malheureuse parce qu’une lettre n’arrive pas…

Mona Ozouf s’est surtout attaché à la conception de ce que nous appelons le féminisme dans le portrait qu’elle fait de Germaine. C’est le sujet de son livre.

Mais, si elle n’a pas été reconnue de son vivant comme elle le méritait, elle est entrée dans l’histoire comme celle qui a fait connaître le romantisme allemand en France. Son influence sur la conception de la littérature est indéniable.

C’est bien la femme de lettres qui reçoit les honneurs de la nation en 1850, lorsque son éloge est fait à l’Académie française. Cette consécration, qu’elle est la seconde femme à recevoir après madame de Sévigné, montre bien que, malgré les hésitations et les réticences, madame de Staël est reconnue comme une des grandes figures littéraires de son siècle.