MICHEL ONFRAY : PENSER L’ISLAM.

Michel Onfray

Michel Onfray est né le 1er janvier 1959 à Argenteau. Philosophe, essayiste il défend une vision du monde hédoniste, épicurienne et athée. Il est influencé principalement par Nietzche et Epicure.

Né d’un père ouvrier agricole et d’une mère femme de ménage, il est abandonné bébé puis placé à l’Assistance publique. De dix à quatorze ans, il fait ses études dans un pensionnat catholique tenu par des prêtres salésiens. Il le décrira comme un lieu de souffrance notamment dans « La Puissance d’exister » et n’oubliera jamais.

De 1983 à 2002, il enseigne la philosophie au lycée technique privé catholique de Sainte-Ursule de Caen. Il critique l’enseignement de la philosophie tel qu’il est dispensé par L’Education nationale, qu’il juge limité à une transmission d’une histoire de la philosophie officielle plutôt que l’apprentissage à philosopher. Il démissionne et fonde l’université populaire de Caen.

So œuvre est très nombreuse. « Théorie du corps amoureux » « Traité d’athéologie » « La puissance d’exister » « Manifeste hédoniste » « L’ordre libertaire ».

PENSER L’ISLAM.

Son livre est divisé en plusieurs parties :
– Penser en post-République
– Introduction
– Entretien.
– Conclusion.

Dans la première partie, il affirme qu’une grande partie de la presse politiquement correcte a le désir d’avoir sa peau. Pourtant, dit-il, je ne suis d’aucune coterie, je suis décidé à rester fidèle à une France maltraitée.

« Ces campagnes de calomnies contre moi ont été sans nom : j’étais coupable de ce que je disais, coupable du ton sur lequel je l’avais dit, en fait, coupable d’être, purement et simplement, et de faire mon métier de philosophe dans une société où le mot d’ordre « socialiste » n’est plus réfléchissons, c’est interdit par Valls, mais obéissez, c’est ordonné par le même. »

Dans l’introduction, il rappelle qu’en 2013, quelques mois après l’intervention de la France au Mali, il avait envoyé un texte au Monde, texte refusé et qu’il reproduit : « Les guerres coloniales contemporaines. »

Il y affirmait que ceux que nous attaquons riposteront à nos attaques. C’était avant le drame du 7 janvier 2015, jour de l’attaque de Charlie Hebdo aux cris de « Allah-hou Akbar » « On a vengé le prophète ».

Michel Onfray s’indigne d’entendre que cet attentat n’a rien à voir avec l’Islam. Pour le philosophe, c’est une négation du réel. Le 9 janvier, c’est la prise d’otages de l’hypermarché casher.

A la demande d’Eric Fottorino, directeur de Un il écrit un texte à paraître dans le numéro du 21 janvier titré « Pourquoi tant de haine ? » Il reproduit aussi son texte intitulé « Le Balai de l’Apprenti Sorcier ».

Dans ce texte, très dur, il accuse la France d’avoir bombardé les populations musulmanes d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, du Mali « sous prétexte de lutter contre le terrorisme qui, avant les bombardements, ne nous menaçait pas directement. »

La fin du texte est très claire :
« L’indéniable retour du religieux a pris la forme de l’islam en Occident. Ce retour est à penser dans l’esprit de Spinoza : hors passions, sans haine, sans vénération, sans mépris et sans aveuglement, sans condamnation préalable et sans amour à priori, juste pour comprendre. Ces pages ne sont rien d’autre qu’une conversation sur ce sujet. J’ai tâché d’inscrire ma réflexion dans l’esprit des Lumières dont la flamme semble vaciller jour après jour. »

Dans l’entretien, il répond au journaliste algérien Asma Kouar puis il réalise que l’entretien peut faire l’objet d’un livre. « Penser l’islam n’a besoin d’aucune autre légitimation que l’envie de parler librement. »

Il est évidemment impossible de résumer l’entretien dans le cadre de ce billet. Je reprendrai certains propos. Mon choix est bien sûr subjectif.

Il  y a dans le Coran des sourates qui invitent à la guerre, au massacre des infidèles mais aussi celles qui invitent à l’amour et à la miséricorde.

Michel Onfray en cite beaucoup mais fidèle à ce qu’il disait déjà dans son traité d’athéologie il compare la violence du Coran à celle de l’Evangile.

Exemples du Coran : « Exterminez les incrédules jusqu’aux derniers » « Tout juif qui vous tombe sous la main, tuez-le » « Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordées sur elles » «Exterminez les incrédules jusqu’aux derniers» «Tuez les polythéistes où vous les trouverez» Mais aussi : «Pas de contrainte en matière de religion» «Celui qui sauve un homme est considéré comme s’il avait sauvé tous les hommes»

Michel Onfray dira donc qu’on peut dire que l’Islam est une religion de paix, de tolérance et d’amour mais certaines sourates rendent possible un islam de guerre, d’intolérance et de haine.

Dans la logique de sa démonstration il reprendra les paroles de Jésus citées par Saint Mathieu : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur Terre ; je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée »

Comparer la violence de Jésus chassant les marchands du temple à certaines sourates du Coran c’est, je me permets de le dire, être de mauvaise foi. Rien dans l’Evangile n’appelle à tuer, au contraire, le « Tu ne tueras point » est un impératif chrétien.

Je le rejoins cependant quand il dit : « C’est quand l’islam devient politique que le problème se pose : si un pays effectue les prélèvements dans l’islam de paix, il n’aura pas la même histoire que celui qui voudra l’islam de guerre. »

Peut-il y avoir un islam de France ? Il faut prélever dans l’islam ce qui est compatible avec les valeurs de la République, former les imans, surveiller les prêches, financer les lieux de prière.

Il soulève cependant un problème important : l’islam est la parole de Dieu qui nécessairement dit le vrai. En Islam, tout pouvoir vient de Dieu et il ajoutera que cette thèse se trouve également chez saint Paul. C’est vrai mais Saint Paul n’est pas l’Evangile…

L’athéisme peut-il accoucher d’une morale ? Réponse catégorique : « Je souscris à une éthique qui interdit absolument sans aucune restriction, le meurtre, le crime, la peine de mort sous toutes ses formes : de la vengeance personnelle du talion au bombardement par des Etats de villes remplies d’innocents, en passant par la peine de mort, quelle qu’en soit la formule : d’Etat ou terroriste. Voilà pourquoi je ne me reconnais pas dans les textes sacrés, parce qu’ils justifient les massacres, ni dans les autres textes, non sacrés, profanes, quand ils les justifient également. »

Sa conclusion a été écrite après le 13 novembre. Encore une fois, il n’arrive pas à séparer le terrorisme islamique, qu’il condamne bien sûr, aux autres « violences »  comme les bombardements US.

Et quand le journaliste lui demande si Daesh ne hait pas l’occident pour ce qu’il est, il admet qu’il s’agit bien d’une guerre de civilisation. Cette affirmation : « Les cultures se valent-elles toutes ? Oui, disent les tenants du politiquement correct. ( ?) J’ai pour ma part tendance à croire supérieure une civilisation qui permet qu’on la critique à une autre qui interdit qu’on le fasse et punit de mort toute réserve à son endroit. »

Un livre dense. Je n’ai pu en donner qu’un aperçu.

Michel Onfray est un homme de conviction. Ce qu’il pense, il le dit haut et fort ce qui explique sans doute qu’il soit souvent contesté. Il ne cherche pas à plaire, peut être excessif.  Il sait certainement que certaines de ses positions peuvent choquer.

C’est aussi un homme de cœur. Je pense à l’université populaire de Caen ouverte à tous et, insiste-t-il, gratuite.

Il est aussi un philosophe accessible. Pour moi, c’est une qualité qui n’est pas tellement répandue. Etre obscur est pour certains un gage de qualité… Je ne suis pas de ceux-là.

 

EN IMMERSION A MOLENBEEK.

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Hind Fraihi est une journaliste flamande d’origine marocaine, née en 1976, à Bornem, près d’Anvers. Il y a dix ans, elle avait publié un livre choc En immersion à Molenbeek  qui n’avait pas suscité beaucoup d’intérêt. Il vient d’être réédité.

Voici comme elle présente son livre dans son avant-propos :

« On trouve des extrémistes dans toutes les religions, pas seulement dans l’Islam. Ce livre traite pourtant uniquement des extrémistes musulmans. La raison en est simple : pour une journaliste de confession islamique et d’expression arabe, le monde des fanatiques musulmans est plus accessible qu’à d’autres même si ce n’est pas toujours le cas. (…) J’imagine bien que ce livre peut être perçu comme malveillant : j’insiste sur le fait que les extrémistes ne représentent qu’une fraction réduite de la communauté musulmane. Par bonheur, les modérés y sont majoritaires. »

Nous sommes en 2005. Hind Fraihi décide de faire une enquête sur Molenbeek pour son journal Het Nieuwsblad. Son documentaire paraîtra également dans le journal Het Volk.

La journaliste d’investigation s’installe pour deux mois dans un kot, rue Ribaucourt, qu’elle partage avec une jeune marocaine qu’elle surnomme Amira. Celle-ci a épousé un Belge rencontré au Maroc, l’a suivi à Bruxelles puis a divorcé.

Hind Fraihi va prétendre être une étudiante en sociologie préparant une thèse de fin d’études.

Elle va rencontrer le cheik syrien Ayachi Bassan qui a accepté l’entretien mais refuse de lui serrer la main puisqu’elle est une femme !

Au cours de l’entretien, il ne cachera pas son mépris pour l’Europe où l’adultère est impuni et l’homosexualité permise, des Etats-Unis qui font la guerre en Irak. Il parlera des jeunes qu’il encadre et notamment des camps scouts qu’il organise dans les Ardennes pour leur inculquer les vraies valeurs de l’Islam… Il ira plus loin : « C’est d’abord en paroles que l’on mène le djihad (…) Les terroristes potentiels se recrutent parmi les jeunes en perdition (…) Ce sont des bombes errantes qui peuvent à tout moment exploser. »

La journaliste sort glacée de l’entretien. Elle est surtout choquée parce que ce qu’elle a entendu ne correspond pas à l’islam qu’elle pratique « Pense bien, vis bien, agis bien : tel est le message de l’Islam. Dans cette expérience de l’Islam, l’Occident n’est clairement pas perçu comme un adversaire, mais comme un enrichissement. »

Elle va s’étendre longuement sur le salafisme. « A mes yeux, les djihadistes-salafistes ne sont pas des terroristes musulmans mais des terroristes politiques. Ils sacralisent leurs desseins par le biais de l’islam. (…)Ils rêvent d’un califat Molenbeek, d’un califat Schaerbeek, d’un califat Anderlecht. »

Hind Fraihi va poursuivre ses investigations. Ainsi remarque-t-elle les nombreuses antennes paraboliques qui permettent de suivre les émissions arabes. « Les téléspectateurs sont gavés des guerres en Irak, en Palestine, en Afghanistan, des images à sensation que les satellites déversent sur le monde. Des images de corps ensanglantés, déchiquetés dans un cratère calciné quelque part du côté de Bagdad… »

Elle s’intéresse aux dizaines de mosquées camouflées en lieu de résidence dans le quartier de la maison communale et à toutes les bibliothèques où livres antisémites et pro-jihad sont disponibles. Tous ces livres se trouvent aussi dans les centres culturels.

Elle va à la rencontre de jeunes rassemblés le soir. Ils ne cachent pas qu’ils travaillent dans des circuits parallèles qui leur procurent bien plus d’argent qu’ils n’en auraient en travaillant dans la légalité.

Un jeune de dix-sept ans rencontré à la station de métro Ribaucourt lui raconte : « Parfois des hommes âgés viennent ici, ils ont de longues barbes et des habits traditionnels. Ils nous demandent si on veut suivre un stage d’entraînement en Afghanistan. J’ai des amis qui ont accepté, mais pas moi. Cela ne m’intéresse pas, le djihad. »

Dans une mosquée, elle rencontre deux jeunes filles en burqa. Elle les accoste mais elles refusent de lui parler. Surprise pour la journaliste, comment un mari peut-il interdire à sa femme de parler ? Elle va rencontrer beaucoup d’autres femmes en burqa…

La journaliste devra raccourcir son séjour à Molenbeek que ses amis jugent dangereux. Elle y retounera en train mais cette fois accompagnée de son frère.

Hind Fraihi va aussi aller dans des associations culturelles. Son jugement est sévère : « Quand on ne trouve pas de travail, on sert l’excuse de la discrimination. Je ne veux pas dire que la discrimination n’existe pas. Mais la discrimination et le racisme sont trop hâtivement invoqués comme excuses. Et par-dessus le marché, les jeunes fainéants sont encouragés par une kyrielle d’organisations multiculturelles et de mécanisme d’intégration. Au lieu de mettre les jeunes face à leurs devoirs, on les chouchoute un peu plus, bien gentiment. »

Elle terminera son livre en se posant beaucoup de questions. Pourquoi ? Que faire ? « Comment pouvons-nous veiller à ce que les jeunes musulmans ne se radicalisent pas davantage ? Je n’ai pas de réponse. Mais je sais une chose : nous devons mener le débat sur l’extrémisme musulman sous toutes ses coutures. Ce serait déjà un bon début. »

Elle est très amère sur la réaction de Philippe Moureaux qui l’accuse de s’être laissé embobiner par les propos de certains jeunes. Elle rejette l’accusation et rappelle que le PS est connu pour sa politique laxiste envers les fondamentalistes musulmans. (Philippe Moureaux dira-t-elle plus tard aurait voulu empêcher la parution de son livre, trop accablant pour lui.)

« Alors que je mets la dernière main à ce livre, je passe en voiture par Molenbeek, à hauteur du canal de Bruxelles à Charleroi. De grandes bannières multicolores égaient les berges, tandis que des lofts rénovés font de la rive un bel endroit pour vivre. Oui, cela aussi c’est Molenbeek. Des lofts et des taudis. »

 

DOUNIA BOUZAR.

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Dounia Bouzar (Dominique Amina Bouzar) est née à Grenoble en 1964, d’un père maroco-algérien et d’une mère française d’origine corse.

Docteur en anthropologie, elle a publié de nombreux articles, livres et essais : « « L’islam des banlieues : Les prédicateurs musulmans, nouveaux travailleurs sociaux ? » « Etre musulman aujourd’hui » « L’une voilée, l’autre pas » « Quelle éducation face au radicalisme religieux ? » « Etre musulman aujourd’hui » « L’intégrisme, l’islam et nous » « Ils cherchent le paradis ils ont trouvé l’enfer » (voir billet du 14 novembre 2014).

D’abord éducatrice, elle a été chargée d’études « laïcité » au Ministère de la Justice et a siégé au Conseil français du culte musulman sont elle a démissionné.

Elle a cofondé le Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam. (CPDSI) Elle raconte sa mission dans « La vie après Daesh » paru le 15 octobre.

Le livre est donc le compte rendu d’entretiens que son équipe et elle ont eus. Ses deux filles font d’ailleurs partie de l’équipe.

On va retrouver :

Léa qui s’est préparée à commettre un attentat.

Inès qui a tenté trois fois de rejoindre les combattants de Daesh.

Hanane qui s’est échappée de Syrie.

Ali et Alouda qui voulaient partir avec leur bébé.

Charlotte qui raconte comment elle se sent aimée par ses nouveaux frères.

Aida fière de son mari candidat au suicide en Irak.

Brian qui voudrait exterminer tous ceux qui ne pensent pas comme lui.

Plus de 500 familles l’ont contactée. Certains ont détecté les premiers signes d’embrigadement. Une fois par mois, son équipe réunit une quarantaine de familles pour leur expliquer ce qui a séduit leurs enfants.

Elle met aussi en contact des jeunes radicalisés avec ceux qui sont revenus de Syrie et qui apportent leur témoignage.

Elle livre des éléments très personnels sur sa vie. Son premier mari est mort alors qu’elle avait vingt ans. Son second la battait. Si elle parle d’elle c’est pour montrer qu’on peut se relever.

Le livre commence par l’histoire de Léa. Soupçonnée de vouloir commettre un attentat après avoir été en contact avec un terroriste elle est arrêtée. Ses parents ne savaient rien. Pendant l’interrogatoire « Léa redresse la tête, un petit sourire méprisant aux lèvres. Elle n’écoute pas ce qu’on lui dit. N’entend pas les questions qu’on lui pose. Ne voit pas les photos qu’on lui montre. Seule la voix de son frère résonne encore en elle. (…)N’oublie jamais que nous aimons la mort plus qu’ils n’aiment la vie. Alors nous gagnerons toujours.)

Depuis deux ans, Dounia organise des séances de « désembrigadement » Les jeunes ont entre 14 et 24 ans. La plupart ont été arrêtés lorsqu’ils tentaient de se rendre en Syrie. Ils ont souvent été embrigadés par internet.

Les rabatteurs les persuadent d’aller combattre les soldats de Bachar al-Assad ou sauver des enfants. Ils les persuadent qu’ils ont été choisis par Dieu. Peu à peu, ils se détachent de leur famille, n’écoutent plus de musique qui détourne de Dieu, se renferment mais retrouvent des « frères » qui deviendront leur nouvelle famille.

Dounia Bouzar et son équipe accomplissent un travail formidable. Dans son livre, elle relate les appels des parents désespérés. Les témoignages des jeunes sont émouvants. Manipulés, ils se posent des questions mais leur foi en Allah, entretenue par les rabatteurs, est toujours vive. Raqqa peut leur apparaître comme un paradis…

Dounia Bouzar est sous protection judiciaire. Menacée elle est aussi critiquée par des musulmans orthodoxes parce qu’elle parle de l’islam n’étant pas théologienne. Mais comment pourrait-elle ne pas montrer à ces jeunes radicalisés que la vision qu’ils ont de l’islam est fausse ?

Dounia Bouzar s’exprime peu sur ce que les parents peuvent faire pour éviter que leurs enfants soient radicalisés, c’est, je crois, la partie faible du livre.

Le livre est construit en chapitres courts, reprenant les paroles des jeunes ou les entretiens que son équipe a avec eux.

Dounia Bouzar y ajoute, pêle-mêle, des souvenirs personnels. Je n’ai pas trouvé que c’était une bonne idée.

Pour l’auteur, ces jeunes sont embrigadés comme dans une secte. Elle ne porte pas de jugement. Son objectif, les aider afin qu’ils ne partent pas ou lors de leur retour. Elle le fait avec beaucoup d’empathie.

Le livre a été écrit avant les attentats de Paris. Il ne faut pas oublier qu’il porte surtout sur la prévention, aider les jeunes pour qu’ils ne commettent pas l’irréparable.

 

DOUNIA BOUZAR.

Dounia Bouzar

Dounia Bouzar (Dominique Amina Bouzar) est née à Grenoble en 1964, d’un père maroco-algérien et d’une mère française d’origine corse.

Docteur en anthropologie, elle est spécialisée dans l’analyse du fait religieux. Elle a publié de nombreux articles, livres, essais et tribunes libres dans les médias.

D’abord éducatrice, elle a été chargée d’études « laïcité » au Ministère de la Justice, a siégé au Conseil français du Culte musulman, puis a été auditrice à l’Institut des hautes études de la défense nationale.

Elle a créé en 2009, avec sa fille Lydia, juriste, un cabinet spécialisé dans l’application de la laïcité et la gestion des convictions auprès des entreprises, des institutions et des politiques.

Œuvre : « L’islam des banlieues : Les prédicateurs musulmans, nouveaux travailleurs sociaux ? » « Etre musulman aujourd’hui » « L’une voilée, l’autre pas » « Quelle éducation face au radicalisme religieux ? » « Etre musulman aujourd’hui » « L’intégrisme, l’islam et nous »

ILS CHERCHENT LE PARADIS ILS ONT TROUVE L’ENFER.

L’auteur a recueilli le témoignage de plusieurs parents dont les enfants sont partis en Syrie pour y trouver le paradis.

L’héroïne principale du livre, si je puis dire, est Adèle, fille de Philippe, psychanalyste et Sophie, enseignante.

Adèle n’est pas rentrée, sa mère s’inquiète. Elle apprend qu’elle a souvent été absente au lycée. En fouillant sa chambre, elle découvre une longue lettre qui lui apprend qu’Adèle s’est convertie à l’islam et est partie pour la Syrie : « Je serai sur la Terre Promise, le Sham en toute sécurité. Parce que c’est là-bas que je dois mourir pour aller au Paradis. Et même si tu n’es pas musulmane, je me suis bien renseignée, je vais pouvoir te sauver. (…)J’ignore quand mon heure viendra. En attendant, je vais soigner les enfants blessés par Bachar el-Assad, puisque toute la terre s’en fout. »

Les parents signalent la disparition à la police, qui, malgré la lettre, répond simplement qu’elle est partie de son plein gré. Sophie apprend aussi, avec stupéfaction, que depuis 2013, les mineurs peuvent quitter le territoire français, avec un passeport valide, sans autorisation parentale.

Sophie va découvrir qu’Adèle avait un second profil Facebook où, convertie à l’islam, elle s’appelle Oum Hawwa et converse avec Abou Moustapha qui la presse de venir en Syrie.

Sur sa page Facebook, des photos de tués en Syrie, des armes, le drapeau d’Al-Quaïda.

Elle va apprendre qu’Adèle est détenue par Al-Nostra, une filière d’Al-Quaïda moins sanguinaires que l’EHL (Etat islamique du l’Irak et du Levant) dont les massacres d’otages ont été diffusés à la télévision.

Abu Oumma est le chef du groupe Al-Nostra français, un ancien bandit, spécialiste des braquages, incarcéré plusieurs années puis converti au jihadisme. C’est lui qui maintient les mineurs en Syrie.

Un long calvaire commence pour les parents d’Adèle. Celle-ci leur téléphone répétant comme un robot : « Je ne manque de rien, je mange bien, je suis dans une belle villa, Allah veille sur moi. » La communication téléphonique est chaque fois coupée.

Sophie n’a plus la force d’affronter ses étudiants, elle est en congé de maladie. Elle reprendra son travail plus tard.

Elle multiplie les appels aux forces de sécurité, dans les médias mais sans succès. Adèle lui téléphonera d’ailleurs pour lui reprocher d’avoir parlé d’elle à la télévision.

Sophie va rejoindre un groupe de parents dont les enfants sont partis en Syrie, qu’elles appellent « Le rendez-vous des mères orphelines. »

Elle y retrouve la maman de Célia, partie depuis six mois, la maman d’Asia, âgée aujourd’hui de vingt-trois mois, enlevée par son père, pour mourir tous les deux en martyrs. Beaucoup d’autres.

Toutes voudraient aller rechercher leur fille mais Samy, leur déconseille formellement. Musulman pratiquant, il est parti chercher son frère mais est revenu bredouille après avoir failli mourir dix fois.

Le pire pour ces mamans est peut-être la réaction des autorités que résume Sophie. « Cà les arrange que nos gosses aillent se faire tuer là-bas. C’est bon débarras. Dans leur tête, ils sont devenus musulmans. Alors ça fait « présumés terroristes ». Leur seul problème, c’est d’envisager qu’ils puissent revenir en France. »

Un discours incompréhensible pour les parents, qui n’acceptent pas de voir leurs enfants comme des terroristes alors qu’ils les trouvent victimes d’un embrigadement sur internet, devant lequel la France est impuissante.

L’auteur reprend aussi le récit des femmes qui ont vécu la radicalisation de leur mari.

Célia, enceinte, veut revenir. Sa mère Nadine part la rechercher. Un voyage d’horreur que Sophie, partie à sa recherche, parce qu’elle n’a plus de nouvelles, va connaître aussi. Adèle refusera de rentrer.

L’auteur a constaté que beaucoup de ces jeunes ont connu un deuil dans la famille dont les gourous sont arrivés à ce qu’ils se croient responsables. Beaucoup sont issus de parents aisés, souvent athées.

Adèle donnera une explication à son départ. « J’ai choisi de me reconstruire. Dans les bras de Dieu, je sers à quelque chose, je vais régénérer l’univers avant qu’il n’explose. J’ai pris conscience qu’il faut agir, car la fin du monde est pour bientôt. C’est écrit que je dois avoir ce rôle. Quel temps ai-je perdu, que Dieu me pardonne. »

Le livre se termine dans l’horreur. Sophie reçoit un SMS : « Oum Hawwa est décédée aujourd’hui. Elle n’a pas été choisie par Dieu. Elle n’est pas morte en martyr : une simple balle perdue. Espérez qu’elle n’aille pas en enfer. »

L’auteur a choisi de construire son livre comme un roman. Elle nous fait partager la douleur des familles impuissantes et culpabilisées. Leur réaction aussi face à l’incompréhension.

Un livre émouvant qui interpelle et dont je vous conseille la lecture.

 

AMIN MAALOUF.

Amin Maalouf

Amin Maalouf est né le 25 février 1949 à Beyrouth, au Liban. Il fait ses études primaires dans une école française de Pères Jésuites. Ses premières lectures se font en arabe. Il étudie les sciences sociales à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il y rencontre Andrée, éducatrice spécialisée, qu’il épouse en 1971.

La guerre civile éclate au Liban en 1975. Amin Maalouf se réfugie en France. Il commence une carrière de journaliste dans un mensuel d’économie, puis devient rédacteur en chef de « Jeune Afrique »

En 1983, paraît son livre « Les croisades vues par les Arabes » puis en 1986, « Léon L’Africain » grand succès de librairie. Il décide alors de se consacrer entièrement à la littérature.

Romans : « Samarcande » « Les Jardins de Lumière » « Le rocher de Tanios » « Les échelles du Levant » « Le Périple de Baldassare ».

Essais : « Les identités meurtrières » « Le dérèglement du monde » 

Il a été élu à l’Académie Française en 2011.

(Billets : 16/09/2008 – 24/02/2012 – 02/07/2012 – 14/02/2014)

LES DESORIENTES.

Adam, 47 ans, marié à Solange, a quitté le pays lors de la guerre du Liban. Il est historien et enseigne l’histoire en France. Il écrit un livre sur Attila qui n’arrive pas à finir.

Un coup de téléphone de Tania, l’épouse de Mourad, ami d’enfance avec qui il est brouillé depuis des années, lui apprend que son mari voudrait le revoir. Il se rend au Liban mais arrive trop tard, son ami est mort.

Il décide de rester au Liban et de revoir ses amis connus à l’Université. Le groupe avait décidé de s’appeler «Le club des Byzantins ».Ils rêvaient de refaire le monde. Certains sont restés comme Tania et Mourad, d’autres sont partis comme Adam, Naïm, Albert.

Adam veut les réunir pour une soirée amicale. Il renoue avec eux par correspondance. Pour ne rien oublier, il décide de transcrire ses mails dans un cahier, y notant aussi ses réflexions, ses souvenirs. Il s’interroge sur ce que racontent ses amis et le fait comme l’historien qu’il est.

Ses amis ont abandonné leurs rêves de jeunesse pour le business ou la politique.

Mourad, resté au pays, est devenu ministre, ce qui a provoqué la brouille avec Adam.

Tania reproche à Adam d’avoir quitté le pays un an après le début des conflits, départ qu’elle a vécu comme une trahison. Leur relation est difficile. Adam n’a pu se résoudre à aller aux funérailles de Mourad ce qui a exaspéré Tania.

Tous ses amis étaient de confession différente ce qui à l’époque était une richesse. Les temps ont changé. La religion est devenu une appartenance, une identité ce qui désole Adam.

Naïm, le juif, a émigré au Brésil. Comme beaucoup d’autres juifs, il est parti avec toute sa famille. Même la veille de son départ, lors de la réunion avec ses amis, il n’a rien dit de son projet.

Albert a émigré aux Etats-Unis où il travaille pour le Pentagone. Sa fonction officielle l’empêche de revenir au Liban mais il trouvera un subterfuge pour rejoindre ses amis.

Bilal est mort à la guerre. Son frère Nidal est devenu un musulman extrémiste radical.

Ramzi, architecte, a quitté une entreprise florissante de construction pour devenir moine. Adam cherchera à savoir pourquoi il a fait ce choix.

Amin Maalouf par le biais des réflexions d’Adam sur ce que sont devenus ses amis, revient sur l’identité, l’appartenance à une communauté religieuse on non, en contradiction avec l’art de vivre ensemble avec d’autres communautés que la sienne, qui était en vigueur dans sa jeunesse.

Amin Maalouf aborde aussi d’autres sujets comme le conflit israélo-arabe ou le radicalisme islamique. Pour Adam, le conflit israélo-arabe est une tragédie qui empêche le monde arabe de s’améliorer, qui empêche l’occident et l’Islam de se réconcilier, qui tire l’humanité contemporaine vers l’arrière, vers les crispations identitaires, vers le fanatisme religieux, ce qu’on appelle aujourd’hui « l’affrontement des civilisations ».

Adam porte aussi un regard sur l’islamisme radical notamment par le biais de son dialogue avec Nidal. Il développe l’idée selon laquelle si le communisme et l’anti-communisme ont été les deux fléaux du XXème siècle, l’islamisme et l’anti-islamisme sont ceux de ce début du XXIème siècle.

Une touche de romantisme dans le livre, l’amour de Séminaris qui accueille Adam dans son hôtel et qu’il appelle « sa châtelaine ». Comme pour Amin Maalouf, rien n’est simple, Adam se torturera sur sa relation charnelle avec Séminaris alors qu’il est toujours très attaché à sa femme. Mais comment résister au charme de Séminaris ?

Le livre se termine de manière tragique mais je ne dévoilerai pas la fin.

« Les désorientés » sont les exilés partagés entre deux cultures, deux visions du monde. Adam est arabe mais enseigne en France et dans les conversations avec ses amis, il mélange les deux langues, l’arabe et le français.

Tous les personnages du livre sont imaginaires mais créés à partir des souvenirs de l’auteur. Il n’a pas voulu citer le Liban comme son pays natal. Le nom n’apparaît jamais mais le lecteur ne s’y trompera pas.

Le livre est très riche comme tous ceux d’Amin Maalouf. L’écriture est simple, presque familière. Le procédé choisi par l’auteur – les lettres, les entrevues retranscrites par Adam dans son livre des souvenirs – en fait une lecture très agréable.

Le livre est surtout pour Amin Maalouf l’occasion de reprendre les idées défendues dans ses autres livres notamment dans le très célèbre essai « Les identités meurtrières » Le lecteur ne s’en plaindra pas.