Français, agrégé de philosophie, il est professeur au lycée Fénelon à Paris. Défendant les valeurs de solidarité, il est devenu un spécialiste des questions de laïcité qu’il pose comme fondement de l’universalité. A ce titre, il a été, en 2003, un des vingt sages de la commission sur la laïcité présidée par Bernard Stasi.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages : « La laÏcité » « L’Ecole » » Le Roman du monde, légendes philosophiques » »Qu’est-ce que la laïcité? » « Leçons sur le bonheur » »Qu’est-ce l’école ? » « La solidarité, une urgence de toujours ».
GRANDES LEGENDES DE LA PENSEE.
L’auteur a sous-titré son livre : « De la chute d’Icare à l’âne de Buridan. Mythes universels, légendes fondatrices. » Il a réuni en un recueil une série d’émissions de radio faites sur France-Culure en 2005. L’objectif de l’auteur est de partir de mythes ou de légendes pour réfléchir sur la condition humaine et surtout sur le sens de la vie.
Les titres des chapitres illustrent bien l’objectif et les thèmes variés abordés par l’auteur. J’en citerai quelques-uns : « Le feu de Prométhée ou Les conquêtes de la culture. » « La chute d’Icare ou Les dangers de l’aventure technique. » « Le rocher de Sisyphe ou Le courage de vivre. » « Le choix d’Ulysse ou L’homme responsable de sa vie. » « La balance de Zeus ou Le verdict du destin. » « Le chant du cygne ou L’ultime réalisation de soi. » »Le philtre d’amour ou La passion fatale. » Don Quichotte et les moulins à vent ou La nostalgie de l’idéal. » « L’aveuglement d’Oedipe ou Les détours du destin. » L’âne de Buridan ou La paralysie de l’indifférence. » « La traversée du Rubicon ou Les tourments de la décision ».
L’auteur rappelle la légende, l’analyse, cite les réflexions d’autres écrivains avant d’en tirer un conseil de vie. Ainsi, le lecteur retrouvera-t-il avec plaisir des citations des Stoïciens, des Epicuriens, de Sénèque, Montaigne, Pascal, Camus, Sartre etc.
Le premier chapitre est consacré à Prométhée, dieu de l’Antiquité qui décide de voler le feu à Zeus pour le remettre aux hommes et leur permettre ainsi la connaissance des arts et des techniques. Il sera sévèrement puni puisque attaché à un rocher du Caucase, son foie sera dévoré par l’aigle de Zeus et renaîtra sans cesse pour permettre la perpétuation du supplice. « Ainsi, Prométhée remet aux hommes un des grands attributs de la divinité. C’est toute l’aventure de la culture humaine qui n’est au départ qu’une transformation active de la nature, qui est ainsi décrite. Grâce à Prométhée, l’homme découvre sa vocation – que l’on dira prométhéenne : il s’invente lui-même, littéralement. »
Dédale, artisan athénien dont le nom signifie « l’ingénieux » invente un taureau. Pasiphaé, la reine du roi de Crète Minos, engendre avec le taureau, le Minotaure, moitié homme, moitié taureau. Minos, honteux de la naissance de ce monstre, oblige Dédale à construire un labyrinthe pour y enfermer le Minotaure, puis Dédale lui-même et son fils Icare. D’après Ovide, Dédale se serait exclamé : « Minos a beau gouverner toute chose, il ne gouverne pas les airs. le ciel du moins leur reste ouvert. » Dédale construit donc avec de la cire et des plumes, des ailes pour lui et son fils. Il recommande à Icare de ne pas s’approcher du soleil. Mais, le jeune Icare, dans la joie qu’il éprouve à voler, s’approche du soleil et tombe dans la mer. Ainsi comme Icare, l’homme porté par l’exigence de la liberté, peut perdre sa lucidité.
Sisyphe, roi légendaire de Corinthe, est condamné par les dieux à remonter sans arrêt un rocher sur une montagne. Camus en fera un personnage heureux qui nie les dieux et arrive à trouver que sa tâche n’est ni futile, ni stérile. « La question du sens des actions s’étend très vite à celle du sens de la vie. (…) Quelle vie voulons-nous vivre et quel bien mérite d’être recherché pour lui-même ? Question essentielle qui appelle une réflexion pour aller vers la sagesse. »
Ulysse, de retour en Ithaque, après la guerre de Troie, est un héros qui a affronté de multiples épreuves. Pourtant, dépouillé de son ambition, il fait le choix d’être un homme modeste. « Tel est le choix d’un sage qui a su méditer l’existence qu’il venait de vivre. C’est, en un sens, le choix inverse de celui d’Achille. Achille avait préféré une vie courte mais glorieuse, à une longue vie dans l’ombre ou dans la modestie. Ulysse choisit, lui, les biens qui tiennent à une vie de sagesse et de tranquille accomplissement de soi. »
L’amour de Tristan et Yseult, l’amour passion, ne s’inscrit pas dans l’ordre des choses. « S’il conduit à la mort aussitôt qu’il s’affirme, il entre dans la belle légende qui le fait survivre pour tous ceux qui s’aimeront plus tard. Comme s’il s’agissait de rappeler que l’élan d’un être vers un autre ne se commande pas, ne se prévoit pas. »
Le déluge est rapporté dans un texte babylonien puis dans la Bible. C’est le récit d’une faute collective des hommes mais aussi d’une renaissance. L’auteur rappelle que les Epicuriens et les Stoïciens voulaient dédramatiser la nature. Il faut, dit-il, « revenir à une lecture sereine des phénomènes naturels, pour dégager le domaine des choses qui dépendent des hommes et celui des choses qui ne dépendent pas d’eux et avec lesquelles il faut composer. »
Jean Buridan, philosophe de l’époque médiévale, voulait démontrer l’impossibilité de décision d’un être paralysé par des motivations strictement équivalentes. Dans sa fable, il montre un âne qui, étant placé à égale distance d’un boisseau d’avoine et d’un seau d’eau, ne sait se déterminer s’il a plus faim que soif, et finit par mourir de faim ou de soif, ce que ne dit pas la fable. « Ne pas savoir quel parti prendre, hésiter, balancer entre deux choix qui semblent équivalents, et rester finalement immobile » c’est le sens de la fable. Mais pour l’auteur, la comparaison entre l’âne et l’homme, ne tient pas. Le philosophe développera longuement la notion d’indifférence mais aussi du libre-arbitre.
César hésite à franchir le Rubicon, à la tête de son armée. Il décidera de le faire, transgressant ainsi l’ordre de Rome. C’est le fameux « Alea jacta est ! » (que le sort en soit jeté), rapporté par Suétone dans sa Vie de César. « C’est aussi son destin, devenir empereur pour être finalement poignardé par son fils adoptif Brutus. Son « Tu quoque mi fili ! (Toi aussi, mon fils) est le dernier acte sanglant d’un destin. C’est l’analyse faite par les historiens. Mais, pour le philosophe : « Le roman du monde n’a peut-être pas d’autres acteurs que les hommes eux-mêmes, inventant le sens de leur existence par le risque et s’inventant eux-mêmes par une action que nul savoir certain ne peut assurer de sa portée. »
Le ton du livre est celui de la conversation avec un ami, jamais ennuyeux, riche d’enseignements et source de réflexions.