IRENE NEMIROVSKY.

 

Couronnée à titre posthume par le prix Renaudot, en 2004, pour son roman « Suite Française » Irène Némirovsky était un peu oubliée. Elle revient dans l’actualité littéraire par la parution d’une biographie, écrite par Jonathan Weiss. Celui-ci est professeur de littérature aux Etats-Unis. Son ouvrage vient de paraître aux éditions Félin Poche. Pour écrire son livre, Jonathan Weiss s’est appuyé sur des entretiens, des correspondances et l’oeuvre d’Irène Némirovsky, qu’il revisite.

Irène est née le 14 février 1903 à Kiev. Son père est un grand banquier russe. Il  jouit de privilèges comme d’emmener sa famille, en vacances, au bord de la mer, en Crimée, ou sur la Côte d’Azur, en France. Dans son roman « Les chiens et les loups » publié chez Albin Michel, en 1940, donc bien longtemps après avoir quitté la Russie, elle décrit sa ville natale : « Au sommet des collines couronnées de tilleuls, on trouvait, entre les maisons des hauts fonctionnaires russes et celles des seigneurs polonais, quelques beaux hôtels qui appartenaient à de riches Israélites. Ils avaient choisi ce quartier à cause de l’air pur que l’on y respirait, mais surtout parce que, en Russie, au commencement de ce siècle, sous le règne de Nicolas II, les Juifs n’étaient tolérés que dans certaines cités, dans certains districts, dans certaines rues, et même, parfois, d’un seul côté d’une rue, tandis que l’autre leur était interdit. »

Irène est élevée par une institutrice française, comme c’était l’usage dans la haute société russe. Elle incarne la France dans l’imagination d’Irène. « Mlle Rose était fine et mince, avec une douce figure aux traits délicats (…) Elle est l’opposé du caractère slave : « Elle était ordonnée, exacte, méticuleuse, française jusqu’au bout des ongles ». C’est ainsi qu’elle la décrira dans son roman « Le vin de la solitude » paru chez Albin Michel, en 1935. Elle dira aussi qu’elle était plus proche de sa gouvernante que de sa mère.

En 1913, la famille s’installe à Saint-Pétersbourg mais en décembre 1918, après la révolution bolchevique, ils sont obligés de s’enfuir en Finlande « déguisés en paysans ». Ils y restent un an, un séjour heureux : « On respirait la santé et le bonheur par ces matins étincelants, quand on courait à travers les forêts, quand on conduisait les légers et rapides traîneaux. » (Revue de Deux Mondes).

Les Némirovsky sont de nouveau obligés de fuir et arrivent en France au printemps 1919. A cette époque, les émigrants ne provoquent pas encore la méfiance qui règnera dans les années trente. La famille s’installe, à Paris, dans un quartier chic du XVIème arrondissement. Une gouvernante anglaise est chargée de l’éducation d’Irène. Son père redevient banquier et investit dans les puits de pétrole en Europe de l’est et dans les usines d’armement.

Irène entretient une correspondance avec une jeune provinciale française, Madeleine Avot, à qui elle raconte sa vie mondaine. Elle passe son baccalauréat en 1919 et en 1921, obtient la licence de lettres, à la Sorbonne. Et surtout, elle écrit dans des revues, de droite et de gauche.

En 1926, elle épouse Michel Epstein, un ingénieur russe, émigré, devenu banquier, avec qui elle aura deux filles, Denise et Elisabeth. C’est la même année, qu’elle publie son premier roman « Le Malentendu » un roman d’amour, que les critiques qualifient de « très français » ce qui la comble.

A vingt-six ans (1929), elle envoie  « David Golder » aux éditions Grasset. Henri Muller, chargé de lire le manuscrit, racontera : Dès que j’eus achevé mon rapport je regardai la fiche de l’auteur dans le livre des manuscrits; il y avait le simple nom d’Epstein, et une adresse poste restante. Le lendemain, Grasset (…) écrivait à l’auteur pour lui annoncer qu’il le publierait avec joie, lui demandant de passer de toute urgence pour signer son contrat. Et puis, nous attendîmes trois semaines; au point que l’un de nous, devant ce silence insolite, proposa de faire passer une annonce dans les journaux : « Cherche auteur ayant envoyé manuscrit aux Editions Grasset sous le nom d’Epstein. »

Le roman publié, la critique est élogieuse. Irène décrit le milieu d’affaires des juifs d’origine russe. David Golder ne doit sa réussite qu’à sa force de caractère impitoyable. Il apparaît comme une caricature du juif radin, boursicoteur, sans coeur. Elle force même les traits physiques. La communauté juive est choquée. Une journaliste juive, elle-même d’origine russe, Nadia Gourkinkel, lui dira : « Votre ouvrage dépeint une société juive à tel point rebutante que l’opinion juive s’en est émue. » Irène essaie de se défendre en évoquant deux arguments : d’abord que, juive elle-même, on ne peut la taxer d’antisémitisme; d’ailleurs dit-elle à propos de ses personnages « c’est ainsi que je les ai vus ». Les antisémites se réjouissent, proclamant « l’écrivain perspicace. » Le livre sera adapté au théâtre et au cinéma.

L’année suivante, Grasset publie « Le bal »qui oppose une adolescente à ses parents. L’adaptation au cinéma révèlera Danielle Darieux.

En 1939, Irène, son mari et ses enfants se convertissent au christianisme. Elle n’a jamais expliqué ce qui avait motivé cette conversion. Pour certains, elle aurait pensé que sa famille serait protégée des persécutions nazies s’ils n’étaient plus juifs. Jonathan Weiss pense plutôt à un choix spirituel, l’adhésion à l’idée chrétienne d’abnégation. Il précise aussi qu’elle ne connaissait quasi rien de la religion juive et qu’elle ne pouvait pas imaginer que la France ne soit pas la terre d’accueil par excellence. Paradoxalement, c’est après sa conversion qu’elle sera hantée par la condition juive « le juif victime de forces qui lui échappent ». Désormais,  elle se montrera sensible au passé du peuple juif et à sa souffrance.

Victimes des lois antisémites promulguées en octobre 1940 par le gouvernement de Vichy, Michel Epstein ne peut plus travailler à la banque et Irène est interdite de publication. Depuis le printemps, la famille est installée à Issy-l’Evêque. Ils portent l’étoile jaune. Irène travaille à une oeuvre de grande envergure, un roman-fleuve, qui devait comporter cinq volumes : « Suite française ». Seuls les deux premiers volumes écrits avant son arrestation seront publiés soixante ans après sa mort.

Elle est arrêtée le 13 juillet 1942, par la gendarmerie française, puis déportée à Pithiviers, puis à Auschwitz où elle meurt le 19 août 1942 du typhus. (D’après certains auteurs, elle est gazée.) Son mari est arrêté en octobre 1942, déporté à Auschwitz et gazé dès son arrivée, le 6 novembre 1942. Ses filles seront cachées par des amis. « Suite française » sera publié en 2004.