VIRGINIE DELOFFRE : LENA.

Virginie Deloffre.


On sait peu de choses de l’auteur Virginie Deloffre. Elle est médecin à Paris, serait d’origine belge et a été largement récompensée pour son premier roman « Léna » notamment par le prix des libraires et de la  RTBF.

Elle aime la Russie depuis sa jeunesse et c’est tout naturellement que son roman lui est consacré. Sur fond historique, par le truchement d’une correspondance, elle nous fait partager son affection pour la Russie. Le roman débute en 1987 et se termine en 1992..

Léna habite dans un appartement communautaire, situé dans une ville sans doute imaginaire,  Arkadovnié, au centre de la Russie. Son mari Vassili est pilote dans l’armée soviétique. Comme elle n’a pas voulu habiter dans une base militaire, son mari part souvent et elle ne vit que pour son retour. Elle ne veut rien savoir de sa vie mais elle écrit de longues lettres sur son absence à ses parents adoptifs, Dimitri et Varvara. « Le bonheur est-il comme la pâte dont on fait le pain, qui se lève puis bientôt se rassit ? Me voilà désertée à nouveau, Vassili est reparti à la base. »

Son absence est vécue dans l’attente de son retour. Elle se fige dans l’immobilité, assise près de la fenêtre qui donne sur la cour où pousse un orme. « L’absence de Vassia m’entraîne auprès de la fenêtre, m’y assoit délicatement, m’y installe. »

Peu à peu, le lecteur apprendra que sa mère était née dan une tribu d’esquimaux éleveurs de rennes dans la toundra. Après un accident, elle a dû renoncer à sa vie sous la tente et a épousé un Russe,Volodia, venu de Léningrad. Elle regrettera toujours sa vie d’avant.

Ses parents vont mourir sur la banquise : « La banquise a dû céder par grandes plaques, on a retrouvé leurs affaires sur le bord et la petite à côté. Combien d’heures a-t-elle attendu toute seule sur cette berge ? » Elle est recueillie par un instituteur qui la confie à Varvara. « Elle s’est assise avec son tablier bleu, les mains posées sur les genoux, elle ne pleurait pas. » Immobile déjà… Elle gardera cette « étrangeté » toute sa vie, malgré les efforts affectueux de sa mère adoptive.

Varvara est née en 1921, dans une famille de paysans. Elle a vécu la guerre et est une communiste convaincue. Elle vit avec Dimitri, un professeur envoyé en Sibérie parce qu’il a trop parlé. Il ne repartira plus. Ensemble, ils vont élever cette enfant étrange, qui ne revit que quand Dimitri l’emmène dans ses expéditions : « A croire que quelque chose lui manquait, qu’elle retrouvait dans ses marches avec vous, un genre de vitamines. » dit Varvara.

Les lettres de Léna sont toujours un sujet de discussion entre Varvara et Dimitri. Mais aussi une occasion pour l’auteur, à travers le portrait que fait Dimitri de Varvara, de parler de l’äme russe. « Modeste pour tout ce qui la concernait, mais fière dès qu’il s’agissait de son pays, de ses réussites et de sa grandeur. Comme tous les Russes d’ailleurs, dont le vraie religion à travers les siècles et les régimes fut toujours l’amour tenace de leur pays et la foi en son destin. »

A dix-huit ans, Varvara a épousé Victor, qui mourra deux mois avant la fin de la guerre. Elle qui a travaillé au sovhoze est une communiste convaincue. Elle n’a pas oublié la guerre. Elle avait vingt ans « quand ces cochons d’Allemands ont franchi la frontière par surprise, comme des voleurs. Ah les sournois, les misérables ! » »Avait-on fait la Révolution pour voir ça ? Des années de sacrifices et les nazis sur le sol russe. C’était comme la fin du monde. » De là vient son admiration pour Staline, pour le communisme et sa crainte de la perestroïka voulue par Gorbatchev.

Ce qu’elle dit du parti est très éclairant pour nous. « Il y a toujours du monde aux réunions politiques. Bon, d’accord, elles sont obligatoires, je reconnais que ça explique l’affluence. Mais justement c’est une très bonne idée. Sinon il n’y aurait presque personne, ça n’aurait pas de tenue. Tandis que 100 % de participation c’est un chiffre rond, ça fait quand même plus joli dans un compte rendu. » L’élection d’un candidat unique ? « C’est très pratique comme système. Pas de questions à se poser : on arrive, on lève la main, l’affaire est faite. On peut rentrer chez soi tranquille. Tandis qu’à l’Ouest, ils sont dans des embarras avec tous les candidats qu’ils ont… » Raisonnement imparable…

Je reviens à Léna. Vassili trace son portrait lors de sa rencontre. « Elle évoquait la candeur ou la légèreté (…) Elle regardait vaguement l’assemblée turbulente du salon, faisant une longue pause avant de s’y engager, semblant puiser l’énergie nécessaire dans l’intense vie intérieure qui semblait l’habiter. (…) Elle ressemblait à la ligne d’horizon. » Léna, lors de ses retours, alors qu’il est envahi par toute la communauté, dira simplement : « Il se retourne et sourit pour moi seule. » Ou encore : »Moi, j’attends Vassia, et lui il me regarde. C’est ainsi que nous vivons. »

La seconde partie du livre est un récit de la conquête de l’espace et de la rivalité entre la Russie et l’Amérique. Personne ne croit que les Russes puissent envoyer un satellite dans l’espace. Les Américains ont pour eux l’argent, leur efficacité, leur formidable puissance technologique. Pour eux, les Russes sont « des paysans crasseux et arriérés encore au stade de la charrue en bois ». Il y a dix ans que la guerre est terminée, l’URSS y a laissé plus de vingt millions de morts, la population vit dans la misère.

Pourtant la Russie va l’emporter. Le 4 octobre 1957, le Spoutnik est lancé dans l’espace à la stupeur du monde entier et la fierté du peuple russe. Puis Laïka, une chienne bâtarde, trouvée errante dans les rues de Moscou, est le premier être vivant à aller dans l’espace. En 1961, c’est la grande victoire, Youri Gargarine est le premier homme à voler dans l’espace. Il deviendra un héros national et un modèle pour Vassia.

Celui-ci est désigné pour aller à la Cité des Etoiles pour un an d’instruction avant de partir sur Mir pour un vol de six mois. Comment l’apprendre à Léna ? « Léna n’a rien dit. Elle n’a pas bougé. Elle est restée immobile le temps qu’il a parlé, assise dans le lit, les mains posées sur les genoux. Elle reste longtemps ainsi. Vassia se tait, il la laisse. Les mots pénètrent très lentement en elle. Elle a besoin de temps. » Puis vient cette question : « Vassia… Pourquoi ? Pourquoi ? POUR QUOI ? »

L’auteur elle, parlant de la conquête spatiale, dira « Quitter la terre ! Le plus extraordinaire n’est pas qu’un projet aussi fou ait pu naître dans la tête des humains, c’est qu’ils l’aient réalisé. »

C’est encore à ses parents adoptifs que Léna va dire son chagrin. « Pourquoi cette nouvelle qui remplirait de joie et de fierté n’importe quelle femme russe est-elle pour moi un drame ? » Elle ne craint pas sa mort, mais son retour : « Je sais comment ils reviennent. Je sais comment ils sont après, cet air absent, les yeux vides qu’ils ont. Ils ont vu ce qu’on n’a pas le droit de voir et  plus rien ne peut ranimer leur regard. »

Léna va retrouver ses parents adoptifs à Ketylin. Elle se reconstitue, elle est plus douloureuse mais plus présente qu’avant. Varvara dit qu’elle « dégèle ». Elle pronostique qu’elle deviendra féconde :« Pour enfanter il faut un ventre chaud. Il ne pousse rien sur un sol gelé. »

Et oui, Vassia va accepter un poste dans la station de poursuite de Kamtchatka, là où on avait envoyé Leonov pendant le vol de Gagarine. Léna deviendra institutrice et ils auront un enfant. Une autre vie commence.

Un beau roman qui se veut un hommage à la Russie où la misère n’empêche pas la grandeur comme la laideur de certains endroits n’arrive pas à gommer la beauté d’autres comme celle de la toundra.

« La terre et la mer se confondent, uniformément blanches et plates l’une et l’autre, sans ligne de fracture visible. L’oeil porte si loin dans cette blancheur, qu’on croit percevoir la courbure de la terre à l’horizon. »

Un commentaire sur “VIRGINIE DELOFFRE : LENA.

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